
Le Mali et la RCA : deux mauvais élèves de la Françafrique ?
Cette question est au cœur des débats des intellectuels aussi bien en Afrique qu’en France, sans que l’on parvienne à se mettre d’accord sur la disparition ou non, des relations privilégiées –d’aucuns diraient spéciales- que la France a entretenues avec ses anciennes colonies du continent. Depuis la décolonisation intervenue dans les années 1960, un pré-carré a été officieusement mis en place en Afrique que l’on a qualifié de «Françafrique». Au sein de ce cercle, rien ne pouvait se faire sans que Paris ne donne son avis. Des dirigeants français ont donc entretenu des affinités personnelles avec leurs homologues d’Afrique, allant jusqu’à les soutenir pour maintenir longtemps au pouvoir. Par contre ; des personnalités africaines qui tentaient de sortir de ce cadre officieux, sans doctrine, perdaient le pouvoir ou des avantages multiformes. Cela s’est traduit par un comportement peu courtois de la classe politique française à l’égard des Africains. Le cas le plus flagrant est le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy affirmant que l’Afrique n’était pas encore entrée dans l’histoire. Ce qui n’a pas manqué de susciter un climat hostile d’une opinion publique africaine qui ne comprend pas l’action de la France. Et d’autres cas semblables se sont multipliés: Laurent Gbagbo a été chassé du pouvoir par l’armée française, des interventions insupportables dans la crise centrafricaine, etc. A cela s’ajoute, constatent les observateurs, le déclin croissant de l’influence culturelle, politique et économique de la France. Concernant le Mali, Emmanuel Macron qui ne supportait pas – il n’y aucun doute là-dessus- feu Ibrahim Keita, n’avait pas vu d’un mauvais œil que la junte militaire s’empare du pouvoir le 18 août 2020. Mais, dès que le colonel Assimi Goïta a évincé le président de la transition Bah N’Daw favorable aux thèses françaises, les relations entre la France et le Mali se sont tendues. Bien plus, l’arrivée de la Russie a été la goutte qui a fait déborder le vase. Pour Paris, soutenue par les puissances occidentales, il ne peut être question de voir au Mali les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner. Cette dernière qui opère déjà en Centrafrique, est considérée comme le bras armé de Poutine sur le continent. Dans ce second pays, le président Faustin-Archange Touadéra aurait déjà été chassé du pouvoir s’il n’avait pas fait appel à la société Wagner dont les soldats protègent les institutions de l’Etat, et assurent même sa garde rapprochée. L’ombre de l’ancien président François Bozizé n’est pas loin, bien qu’il soit banni par l’ONU. Paris s’offusque tellement de la présence de ces « coopérants » russes qu’il a décidé d’interrompre le programme de formation de soldats centrafricains. Mais, pendant que le mécontentement monte en Afrique, surtout dans le cercle des intellectuels, à l’Elysée, l’on fait état d’un simple malentendu entre Paris et ses partenaires africains. Ou encore d’une guerre que livrerait une puissance étrangère pour prendre la place de la France en Afrique. C’est pourtant ce climat de malaise qui a profité à Moscou pour s’avancer à Bangui et Bamako. Mais, comme l’écrit fanny Pigeaud, journaliste, et auteure, avec Ndongo Samba Sylla, de l’ouvrage initulé « L’Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA, paru en 2018 aux éditions la Découverte, « l’exaspération qui se répand trouve sa source dans la politique africaine de la France elle-même ». « C’est un ras-le-bol, une révolte, un refus de la mainmise de l’État français sur nos autorités et, par ricochet, sur nos économies, sur nos peuples », soutient Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.Un autre écrivain, Boubacar Boris Diop, « la dénonciation de l’impérialisme français et de la Françafrique sort des cercles intellectuels et militants pour gagner la rue. Cette évolution s’explique par « l’arrivée à maturité d’une génération qui ne se sent pas concernée par ce que la France a pu représenter pour ses aînés, qui regarde de moins en moins vers elle », affirme-t-il. Pour la journaliste française, « parmi les griefs adressés à l’ancienne puissance coloniale figure la coopération monétaire avec quatorze pays d’Afrique depuis 1960. Reprenant une critique jusque-là confidentielle, des militants associatifs, des économistes et des opposants luttent désormais ouvertement pour la fin de la monnaie héritée de la colonisation et actuellement divisée en deux zones: le franc CFA d’Afrique de l’Ouest et le franc CFA d’Afrique centrale. Arrimée à l’euro, la devise demeure sous la tutelle de la France, qui en garantit officiellement la convertibilité. Selon ses détracteurs, le franc CFA entrave le développement de pays qu’elle prive d’une part de leur souveraineté. Ils plaident pour la création de monnaies régionales ou nationales ». Depuis 1960, Paris maintient dans ses anciennes colonies un réseau de bases permanentes ou temporaires. L’armée est souvent employée pour porter au pouvoir ou protéger des dirigeants alliés. En 2011, son intervention pour permettre à Alassane Ouattara d’accéder à la présidence de la Côte d’Ivoire, à l’issue d’une crise postélectorale meurtrière, fut perçue comme un règlement de comptes avec le chef de l’État sortant Laurent Gbagbo. Depuis 2013 et l’opération Serval, dont les circonstances et les motivations sont déjà controversées, les critiques s’exacerbent au fur et à mesure que des groupes armés regagnent du terrain, semant la mort au Mali et au Burkina Faso. Une partie des Maliens estiment « que la France n’intervient que pour des intérêts économiques et stratégiques inavoués, qu’elle participe à la déstabilisation du pays pour légitimer sa présence ; mais surtout, qu’elle a pris le parti des ex-rebelles touaregs », analyse Boubacar Haidara, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde à l’institut d’études politiques de Bordeaux.
YAMAINA MANDALA